L’écluse en danger
Les écluses témoignent d’un mode de vie en voie de disparition. Elles sont d’autant plus menacées que c’est un patrimoine extrêmement fragile nécessitant une vigilance constante, une main-d’œuvre nombreuse, des compétences de bâtisseurs d’écluses .
Soulignons aussi que le savoir faire des bâtisseurs reposant sur des connaissances et des expériences risque de disparaître .
Or la transmission des savoirs et des savoirs faire est essentielle .Raison pour laquelle le recueil de témoignages oraux mais aussi de films et vidéos ont été entrepris par l’ADEPIR avec l’accompagnement de l’Université du Littoral ,de Jacques Boucard ,l’historien des écluses à poissons , le soutien de la Communauté des communes de l’ile De Ré et de la commune de Sainte-Marie de Ré..
Les causes d’abandon
Au cours de l’histoire furent alléguées des causes de suppression de trois natures :
- les écluses étaient accusées d’ employer trop de main-d’œuvre masculine ainsi ôtée aux effectifs de la Marine Royale,
- elles faisaient concurrence à la pêche professionnelle, les rétais ramassant suffisamment de poissons pour la totalité de la consommation,
- elles présentaient un danger pour les vaisseaux car non signalées avec de plus le problème des fanaux de la pêche de nuit qui trompaient les bateaux.
L’abandon des écluses est allé très vite depuis la dernière guerre. En 1945 il y a 70 écluses encore en activité, en 1995 il n’y en a plus que 8 !
Beaucoup de rétais dans cette période sont allés chercher du travail sur le continent et la main d’oeuvre est devenue plus rare. Aujourd’hui, l’évolution de l’économie rétaise et du niveau de vie ne rend plus indispensable l’apport alimentaire des écluses. Le temps à y consacrer ne correspond pas non plus aux nouveaux concepts de rendements.
Les écluses sont aussi devenues moins « pêchantes » en même temps que la pêche intensive en mer rendaient plus rares la plupart des espèces de poissons habituellement pêchés.
Les causes de dégradations
L’estran aujourd’hui est particulièrement fréquenté en saison estivale ou pour les marées à coefficient exceptionnel. Les facilités d’accès à l’île en voiture ont rapidement accentué ce phénomène.
Malgré l’interdiction de pêcher et de pénétrer à moins de 25 mètres des écluses à poisson , réglementation identique à celle des concessions ostréicoles ou mitylicoles ,
malgré les panneaux d’informations et autres publications à destination des touristes ,les pêcheries sont encore trop souvent « visitées « et subissent des dégradations qui peuvent entraîner la ruine de l’ouvrage .
Non conscient des questions d’équilibre écologique, et donc des conséquences de son geste, le touriste (ou parfois le rétais !) , pour attraper un crabe enlève une pierre, puis deux… une brèche se forme à la marée suivante . Très vite ,avec les marées suivantes, la situation évolue ,créant une brèche qui entraîne la ruine de l’ouvrage.
Et de lourds travaux pour les codétenteurs de la pêcherie .
Les simples gestes du pêcheur d’huîtres qui tape sur les murs de l’écluses pour prendre une huître, les ébranle, enlève le liant naturel essentiel que constituent les huîtres et engage ici un processus de dégradation qui répèté plusieurs fois altére la solidité de l’ouvrage .
Les écluses sont pourtant un patrimoine essentiel, témoins d’un mode de vie tout à fait adapté au milieu naturel et au fonctionnement de la société rétaise traditionnelle.
Elles ont aussi un rôle évident dans la protection des côtes. Le Masson du Parc dans l’enquête que lui avait demandé l’administration en 1727 le reconnaissait déjà :
elles se trouvent nécessaires pour conserver les côtes de l’île le long de la mer sauvage qui y brise continuellement et qui mine de telle manière les terres du rivage que l’île serait bientôt détruite sans l’espèce de rempart que forment les écluses.
Dominique Chevillon
Publié le mercredi 23 août 2017 - Mis à jour le jeudi 19 avril 2018